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Lettres

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21 novembre 2004

Lettre 13

XIII

 

            Un samedi de fin novembre. Je connais maintenant les meilleurs paninis du coin, après tous ces après-midi à sortir seul.

            La cloche de la Trinité sonne 13h, et le froid me rappelle ce que j'ai lu tout à l'heure sur cette affiche de la mairie, juste avant d'entrer déjeuner ici. C'était écrit « Jardins d'automne », et ça sonnait comme un titre de poème sur le portail monotone. Une grande fontaine dont le large bassin est tout vide, ou alors rempli des feuilles desséchées, donne un air de grandeur désespérée au lieu. Et puis, les bancs ici sont si beaux, leur courbure rejoint l'élégance des quartiers chics. Les arbrisseaux sont bien taillés et de grands arbres s'élèvent autour. Quand on est triste, il faut l'être avec honneur.

            J'aime ma veste au doux velours couleur merisier, et mon écharpe, mes mocassins trahissent des goûts anachroniques. Surtout, les rues haussmanniennes conduisent souvent vers le début de l'autre siècle, vers la Belle époque.

            Je vais rassembler ces lettres dans une bouteille que je jetterai à la Seine. Un jour on découvrira les vestiges du désespoir de la vie telle qu'elle existe au début de notre siècle.

            L'abandon d'un être à lui-même, l'isolement de sa conscience parmi le monde alors qu'il a connaissance de celui-ci est un rapport destructeur de son humanité. C'est la confrontation des goûts face à la réalité, et la perte du goût à la réalité.    

            Vers la fin de l'après-midi, les parapluies se sont ouverts boulevard Haussmann.

            Le dimanche matin se réveille comme une ombre. Une nuit de sommeil vient de rattraper toutes celles trop courtes de la semaine passée, et laisse des cauchemars reflets en passant. Toujours le même désordre dans la tête et dans cette chambre trop froide depuis que l'arbre devant sa fenêtre s'est dénudé. La lumière absente à la faveur du vent qui câline la peine, donne la tonalité au radiateur qui refuse de fonctionner. Rien ne veut plus marcher, quand les jours n'ont plus d'envies, quand l'espoir n'a plus de droits.

            Des piles de bouquins qui croulent, de la philosophie qui craque. Les pensées ne sont plus les vôtres, quand vous vous êtes perdu. La voix a pris de la gravité, et les mots sont seuls ce qui rattache encore à la vie. C'est comme une branche fragile, parce qu'elle n'a qu'elle.    

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21 novembre 2004

Lettre 12

XII

 

     J'étais là dans le métro assis sur un strapontin, à moitié endormi, ces nuits où je ne dors plus après ne pas avoir fini mes devoirs, après une journée triste à ne jamais finir. Un vagabond, pour mendier quelques pièces, chantait « Le paradis blanc » avec une guitare qui l'accompagnait. Le wagon et ses occupants semblaient tellement adéquats à ma vie, « Tout seul avec le vent Comme dans mes rêves d'enfant ». Il chantait bien le bonhomme.

     Ce qui est le pire, c'est quand on n'a plus rien à espérer. Encore, si je tenais fermement à la vie, à ce présent, alors ce serait l'idéal. Mais là, c'est que je ne crois plus ni au présent, ni à l'avenir. D'un point de vue moral, C'est une vie de romanichel. Cependant, le bohémien n'est jamais seul dans son errance.

     On peut avoir toute la poussière de la terre dans ses mains, tous les bateaux à voiles des mers, et on peut en même temps être démuni de tout, l'essentiel n'est pas objet, les bateaux ne sont pas promenades.

     Les fêtes de fin d'année approchent à grands pas. Les rues et leurs vitrines passionnées s'habillent de laine, sous la neige de notre poésie d'hiver, ou d'enfance… Et puis, les familles, les couples, les amis se baladent sous les éclairages d'une nostalgie infinie. Je sais déjà que cette fin d'année va être tellement difficile. Comment tenir ce qui est intenable ? Je ne puis me résoudre à faire semblant d'oublier la tristesse et le non-sens de tout ce qui m'entoure ici et là, et plus tard.

     J'imagine parfois tomber dans la Seine, c'est si beau Paris. Dommage que je déteste avoir les cheveux mouillés.              

17 novembre 2004

Lettre 11

XI

 

     Tout, la vie et le monde, me déçoit. Quelqu'un m'a dit qu'il ne fallait pas trop en attendre des autres, sinon on est souvent déçu. Je crois que c'est la vie qui a fini par me décevoir. Je n'ai plus vraiment foi en quoi que ce soit, ni qui que ce soit. Jusqu'alors je me balançais entre le repli sur soi et l'ouverture sur le monde. D'un extrême à l'autre selon mes humeurs, et forcément on finit par s'attacher à l'un ou l'autre, on devient dépendant de l'habitude.

     Autrui, aussi bien que la solitude me détruit. Il faut que je sois mon ami, et que je vive avec toi, l'espoir de mon imagination. Etre heureux, c'est déjà être authentique. Les autres seront à mes yeux seulement les occupants d'un monde. Il y en a un autre où nous habitons. La nostalgie, c'est un peu quand il nous manque quelque chose dont on ne sait rien.

     La prépa, ce ne sera peut-être pour jamais. J'aurais plutôt voulu d'une vie d'artiste, de rêves, de voyages et d'écriture.

     J'ai la trouille.

     C'est que depuis ces derniers mois, la solitude s'installe de plus en plus ici et là. Je me retrouve sans cesse sans un seul ami sitôt que je quitte le lycée. C'est une situation que je n'envisageais d'aucune manière auparavant. Mais voilà qu'en réalité, les amis sont le plus souvent éphémères, ou alors ils m'ennuient. On en change, ou pas.

     Le mercredi après-midi… Le week-end… sont devenus des moments que je redoute, où il m'est plus facile de craquer, tout seul dans mon coin, allongé sur mon lit pour tenter d'apercevoir un pan de ciel sur le plafond trop livide. Mais ce sont plutôt des après-midi maussades, à traîner les pieds sur des trottoirs habités par les passants gais qui ne me ressemblent pas.

     Pourtant ne me crois pas sans courage. J'essaie de ne plus me plaindre du désert, de m'y habituer et même de tenter d'y trouver quelque avantage. Mais je me mens comme j'essaie de fuir la vie qui est si moche. Je fais semblant d'essayer de me contenter de moi, comme ami. Mais passer des mois ainsi… et je ne te parle pas des vacances de Pâques… C'est comme si une barrière s'étendait autour de moi, « ne soyez pas ami avec ce garçon trop mauvais ».

     Seul François reste. Son amitié est certaine, est intangible et c'est dommage que je ne puis l'apprécier comme mon meilleur ami, alors que je suis le sien. Nous nous voyons rarement, mais je suis si content, parce que ce sont les seuls moments où j'ai l'impression de ne plus être seul au monde.

     J'essaie, j'essaie, je te promets… c'est si dur. Le pire, c'est peut-être le sentiment de culpabilité, parce que je sais bien que je suis l'auteur de mon impasse. D'abord, je suis bien trop difficile dans le choix de mes amis. Ensuite, je ne sais pas être suffisamment bon ami.

     Dis le moi, y a-t-il des raisons pour que je tienne à la vie ? Dis moi sans me mentir, si la vie se résume à discuter avec moi-même (toi ?), dis-moi que j'ai raison d'imaginer parfois les scènes où je m'ôte de la réalité irréparablement.       

23 octobre 2004

Lettre 10

X

 

     C'est un soir d'automne habillé de lilas. Ça flotte dans un mélange de magenta et de cyan terne. Quelle étrange sombritude qui s'est abbatue soudain. Je crois que le soleil s'est couché quelque part au loin. Quelques minutes auront suffit pour que ma fenêtre s'éteigne.

     « Sombritude ». Ce mot est de mon invention. Pourtant il existe bien plus que d'autres, ici et maintenant. Il a tellement de sens parce que je l'ai inventée, et spontanément, il est héritier de mes impressions, de mes sentiments. En fait ce mot (par procuration) est un minuscule bout de ma vie, pour ne pas dire de moi.

     Sûrement qu'il fut inspiré de « sombre » et de « solitude », mais contrairement à ses aïeuls, il dégage beaucoup moins de pessimisme. C'est qu'il sonne joliment, ça commence terriblement et ça finit sur une note de voyage, comme un son qui se prolonge, de la légèreté en contrebalance à sa teinte.

     Mais il ne faut pas oublier que c'est peut-être une illusion pour se rassurer, cette touche de volonté d'allégresse.

     Parce que c'est possible que plus personne ne m'aime. Que je me retrouve encore plus seul que lorsque j'essaie d'être infidèle à l'ennui de la solitude après les cours. C'est qu'il se peut que je n'ai plus personne à qui penser, alors je serai aussi seul « en vrai », que dans les pensées.

     Le pire serait que tu m'abandonnes. Pas maintenant je t'en prie. Je voudrais que ton absence soit de plus en plus marquante. C'est ainsi que se nourrissent d'imagination mes rêves, et de là, se construisent vraisemblablement mes journées. 

     C'est parce que tu es cette inconnue que je peux me permettre de dessiner ces vies et ces vies… derrière chaque personnage que je devine être toi.

     Ne me crois pas dupe, je sais bien que c'est un jeu dangereux que de t'espérer. Tu me joues peut-être des tours, mais tant pis, la vie est moins plate. Je veux être triste ou heureux. Pas entre les deux, pas rien.

16 octobre 2004

Lettre 9

IX

 

      Les vies se poursuivent dans la vague des habitudes quotidiennes. La rue du Prévôt traversée 593 fois, l'angle des rues comme le coin de mes poches, un matin ou un soir à rentrer un peu seul. Le retour d'un week-end qui n'est rien quand la vie ne surprend plus. Où sont les moments inattendus au détour de rencontres trépidantes ? Il manque tant de choses… tant de vie…

     La résonance de tes mots me rappelle souvent tes souvenirs, et ceux que j'imagine avoir après. Pour l'instant, j'aimerai que tu prennes soin de toi.

     Je m'ennuie de l'habitude de ton absence, et ma vie n'a jamais trop de goût quand je songe à toi. Nous avons tant de choses en commun que je ne veux plus te perdre un jour.

    

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2 octobre 2004

Lettre 8

VIII

 

   

     Une poussière de pluie tombait ce matin sur nos épaules, on aurait couru le long de nos journées incertaines, ne crois-tu pas que l'on se rate souvent ? Il y a de la gravité dans tes mots, de la douleur dans tes traits. Du silence entre nous. C'est vrai que ça pourrait être mieux. Nos regards d'enfants continueraient ce jeu aussi longtemps que nous le voudrions. Mais je ne crois plus trop en mes lettres. Prends tu soin de les lire de temps en temps ?

    

     Il y a ces soirées où je me perds en même temps que je te perds. Les yeux fermés face contre oreiller, pour ne pas trahir ma faiblesse.

25 septembre 2004

Lettre 7

VII

 

     Les pages blanches du bottin sont fades comme des listes de fournitures scolaires. J'espère souvent rencontrer ton visage au coin des pages studieuses, au détour de nos ruelles taciturnes. C'est cela qui rend un peu de sens à nous deux, face à l'adversité. Et puis tant pis si jamais tu n'étais qu'un jeu. Ma théorie des destins réciproques pourrait être fausse, j'aurai quand même vécu un peu de toi.

     Les journées fastidieuses m'éloignent des uniques journées, celles où tu saisis soigneusement la douceur parisienne des longues marches, et nos interminables disputes, nos réconciliations le long d'une rue mouillée au vent d'automne trop tôt.

     La lumière d'un abat-jour embrunit ta chambre de la discrétion du soir. Tu crayonnes quelques traits paresseux sur des feuilles cornées, et tu fredonnes quelques paroles tout aussi fragiles que ton regard. Il fait un peu frais à cette heure-ci, tu as un léger pull maussade qui te va si bien.

18 septembre 2004

Lettre 6

VI

 

     Autour de nous, le silence les éloigne et rapproche nos regards. Ton air d'indifférence qui fait ta présence, mes mains incertaines, on s'étonne de nous. Deux enfants qui s'écrivent leurs vies de bohème pour combler leurs regrets. Qu'allons-nous devenir ? Les paroles fantasmagoriques sont nos préférées. C'est que je t'ai compris avant même de te savoir. Et s'il doit y avoir ce soir où nos photos jaunies par l'ennui se croisent, ce sera le spleen de nos mélancolies qui nous fera nous dévisager.

     De l'autre côté de la nuit qui se lève, il n'y a que toi qui puisses m'appeler. Les échelles posées sur les accroches à nos chimères, on s'étonne de tout ce qu'on aurait vécu. Tu es la seule que j'aurais attendue pour ma vie préférée.

    

     Des pas dans la fraîcheur matinale d'une saison qui s'annonce. On se frotte la paume des mains, je suis celui qui sait quand tu as froid. Ton écharpe cache le bout de ton menton et tes rires feutrés.  

     Le début du week-end, par un samedi après-midi qui rappelle que l'été n'a pas encore tout a fait cédé. Il lui reste 4 jours. Les anciens amis, un anniversaire, il fait la chaleur des vacances au jardin du Luxembourg, sans Paris déserté du mois d'Août. Nous sommes assis sur un banc, ma glace est au melon et au pain d'épice. Pourtant tout m'a l'air tellement insipide, ces journées à remplir… Ma préférence aurait été d'être avec toi. Nos glaces auraient cette saveur des goûts mélangés de fin d'été. Tu me manques souvent. Je veux croire que tu t'ennuies quand tu m'attends.

     Je vais faire la sieste en attendant de te penser.

16 septembre 2004

Lettre 5

V

 

     Des réactions chimiques, les expériences et de l'arithmétique. Les cahiers, les feuilles polycopiés étendus sur la table de bibliothèque. Les rangées sont strictes, le silence aussi, à Beaubourg. Que fais-tu par cet après-midi un peu doux pâle comme ceux où les cours s'arrêtent à mi-journée ? Tu as déjeuné. Peut-être seule, un sandwich pour gagner du temps. Ou au réfectoire avec tes amis. Tu dois sûrement être en train d'écouter les équations du tableau noir, et tu écris sur ta nouvelle page, des choses qui n'ont rien à voir. Tu écris une lettre, sans savoir qui est le destinataire. Enfin pas vraiment, parce qu'on se connaît quand même.

     Tu as l'habitude de relever la manche de ta petite veste de presque automne, de plonger ton regard sur ta montre. Pour avoir hâte que le cours s'achève, pour savoir si tu finiras ta lettre.

     A la récréation, tu chercheras dans la cour du lycée quelques regards familiers, surtout le mien. Au hasard des sonneries, nos épaules se frôlent parfois le long des pas pressés, destins qui s'éloignent entre deux balancements.

     Je prends soin de te garder une place à côté de moi. Au fond de la classe au coin de nos discrétions. Tu montes les escaliers doucement, fatiguée de tout. Au milieu du couloir, tu te poses à terre, la poussière des craies blanches peigne tes cheveux. Ton visage est un peu pâle. Un pan de lumière traverse la vitre, il fait blanc. Rien n'a changé te dis-tu, les mêmes journées, les mêmes vies qui s'agitent et les nôtres perdues.       

12 septembre 2004

Lettre 4

IV

 

 

     Gouttes de fin d'été. Et les feuilles qui s'égarent. Entrent dans la danse. C'est le soir où l'on ne veut plus croire, parce qu'on ne peut plus. Le soir où je me dis que tu es un leurre : je discute avec la solitude. Tu n'entends pas ma voix basse qui chuchote les mots velours. La vie les efface au fur et à mesure.

     Mais je ne peux ne pas t'imaginer. Si je suis là, à l'abri du cercle brun d'une lampe de bureau, que je n'ai plus rien à aimer… C'est donc que tu es quelque part, en train de ne plus croire en moi. Alors tu es là. Nous nous égarons en ces moments où nous croyons nous perdre. C'est difficile, parce que si l'un de nous deux était vraiment un leurre, l'autre aurait raison de désespérer.

     Vies perdues, nous sommes deux inconnus voulant croire qu'aux instants où nous étions abattus par l'autre, ceux là ont été pour qu'une autre fois l'autre ce soit toi et moi.

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