Lettre 13
XIII
Un samedi de fin novembre. Je connais maintenant les meilleurs paninis du coin, après tous ces après-midi à sortir seul.
La cloche de la Trinité sonne 13h, et le froid me rappelle ce que j'ai lu tout à l'heure sur cette affiche de la mairie, juste avant d'entrer déjeuner ici. C'était écrit « Jardins d'automne », et ça sonnait comme un titre de poème sur le portail monotone. Une grande fontaine dont le large bassin est tout vide, ou alors rempli des feuilles desséchées, donne un air de grandeur désespérée au lieu. Et puis, les bancs ici sont si beaux, leur courbure rejoint l'élégance des quartiers chics. Les arbrisseaux sont bien taillés et de grands arbres s'élèvent autour. Quand on est triste, il faut l'être avec honneur.
J'aime ma veste au doux velours couleur merisier, et mon écharpe, mes mocassins trahissent des goûts anachroniques. Surtout, les rues haussmanniennes conduisent souvent vers le début de l'autre siècle, vers la Belle époque.
Je vais rassembler ces lettres dans une bouteille que je jetterai à la Seine. Un jour on découvrira les vestiges du désespoir de la vie telle qu'elle existe au début de notre siècle.
L'abandon d'un être à lui-même, l'isolement de sa conscience parmi le monde alors qu'il a connaissance de celui-ci est un rapport destructeur de son humanité. C'est la confrontation des goûts face à la réalité, et la perte du goût à la réalité.
Vers la fin de l'après-midi, les parapluies se sont ouverts boulevard Haussmann.
Le dimanche matin se réveille comme une ombre. Une nuit de sommeil vient de rattraper toutes celles trop courtes de la semaine passée, et laisse des cauchemars reflets en passant. Toujours le même désordre dans la tête et dans cette chambre trop froide depuis que l'arbre devant sa fenêtre s'est dénudé. La lumière absente à la faveur du vent qui câline la peine, donne la tonalité au radiateur qui refuse de fonctionner. Rien ne veut plus marcher, quand les jours n'ont plus d'envies, quand l'espoir n'a plus de droits.
Des piles de bouquins qui croulent, de la philosophie qui craque. Les pensées ne sont plus les vôtres, quand vous vous êtes perdu. La voix a pris de la gravité, et les mots sont seuls ce qui rattache encore à la vie. C'est comme une branche fragile, parce qu'elle n'a qu'elle.